Les feuilles de tabac ne sont pas roulées juste après avoir été récoltées. Elles font encore l’objet d’un travail long et acharné de transformation afin de les rendre utilisables pour la confection de cigares.
Les feuilles destinées à la confection des capes sont souvent cultivées en sous-serre. Ce mode de culture est appelé « tabaco tapado » ou « shade-grown ». Il est généralement adopté par les cultivateurs de tabac du Connecticut aux USA. Après avoir été cueillies, les feuilles sont mises à sécher durant 25 jours dans la Casa del Tabaco (littéralement : la cabane du tabac) au bout desquels elles passent par une étape de fermentation de 30 jours dans le centre de trie (escogida ou sorting house). Toujours dans ce local, les feuilles sont humidifiées, puis de nouveau séchées avant d’être triées et classées pour ne garder que les meilleures. Ces dernières sont enveloppées dans des emballages spéciaux appelés tercios. Ils sont fabriqués avec la yagua, une matière retirée de l’écorce du palmier royal. Dernière étape, les paquets de feuilles bien emballées dans les tercios sont stockés dans l’entrepôt qui porte le nom d’« almacén ». Commence alors leur vieillissement durant au moins 6 mois.
Le passage dans la Casa del Tabaco dure 50 jours tandis que celui dans le centre de trie dépend de l’origine des feuilles. Celles qui se trouvaient dans le sommet des plantes subissent 30 jours de fermentation. Celles qui ont été prélevées dans la région médiane et sur le pied des plantes de tabac sont fermentées pendant 25 jours. Après la fermentation, on passe au triage : les meilleures feuilles du sommet forment le ligero, les meilleures feuilles médianes constituent le seco et les meilleures feuilles du pied sont réservées au volado. Cette dernière catégorie sert également à la formation de la sous-cape.
Toutes les feuilles sont transmises au centre d’écôtage où elles sont humidifiées pour commencer. Puis, elles passent par l’étape de l’écôtage proprement dit pour les débarrasser de leur nervure centrale. S’ensuit une deuxième sélection afin de ne garder que les feuilles présentant une taille généreuse. Les feuilles retenues sont alors aplaties entre deux planches. À ce stade, une seconde fermentation est organisée : 90 jours pour les feuilles de ligero, 60 jours pour les feuilles de seco et 45 jours pour les feuilles de volado. Après cela, les feuilles sont aérées et séchées quelques jours pour enfin être rangées dans des sacs en toile de jute. Elles sont conservées dans l’almacén durant 2 ans au moins pour les ligeros, 12 à 18 mois pour les secos et 9 mois pour les volados.
Cette étape est fondamentale pour la qualité du cigare. Elle doit se dérouler lentement et être organisée avec le plus grand soin. L’objectif du séchage est de déshydrater les feuilles afin d’en éliminer complètement toute trace d’humidité. Durant cette étape, les feuilles changent progressivement de couleur pour devenir brun or.
La technique traditionnelle de séchage consiste à regrouper les feuilles deux par deux puis à faire pendre ces « paires » sur les cujes (longues tringles en bois). Ces derniers sont disposés en étage dans la Casa de Tabaco : ceux qui portent les feuilles présentant un stade avancé de déshydratation occupent les niveaux supérieurs et vice versa. Un cuje dont les feuilles sont totalement sèches est ôté de la Casa permettant ainsi de remonter les autres. La Casa de Tabaco possède un toit de palme, mais il est dépourvu de murs. Ainsi, les feuilles sont protégées du soleil, mais elles sont en revanche livrées aux effets des conditions météorologiques et climatiques. Ceci étant, l’aération et la luminosité sont surveillées en permanence afin de permettre une variation naturelle de la température et du taux d’humidité au sein de la grange. Depuis 1990, le contrôle de la température et de l’humidité est automatisé.
Lorsque toutes les feuilles récoltées sont bien sèches, le vegero (agriculteur spécialisé dans la culture du tabac) passe la main aux professionnels de l’Empresa de Acopio y Beneficio del Tabaco. Cette entreprise appartenant à l’État cubain est chargée d’acheter auprès des vegeros leur production. Elle va procéder à une séparation des paires de feuilles de tabac dans ses locaux. Cette tâche est totalement manuelle. Les feuilles peuvent enfin passer dans le centre de sélection.
Les feuilles séchées sont empilées en plusieurs tas formant ce que l’on appelle les gavillas. Elles sont ensuite transportées dans le centre de sélection (l’escogida) où elles sont recouvertes de tissus. Un processus naturel de fermentation débute alors, déclenché par le peu d’humidité qui est resté piégé dans les feuilles. En fait, le déroulement de la fermentation est exactement identique à celle qui se produit lors de la fabrication d’un compost par un particulier dans son jardin.
L’évaporation et la compression sont à l’origine de la production de chaleur et donc d’une hausse de température et donc d’une dégradation des micro-organismes contenus dans les feuilles. Un contrôle régulier est impératif pour s’assurer que le niveau de fermentation attendu n’est pas dépassé. À noter que les feuilles qui se trouvaient au sommet des plantes de tabac doivent fermenter plus longtemps que les autres, car elles sont plus épaisses et plus huileuses.
La fermentation des feuilles est fondamentale si l’on souhaite obtenir des cigares de grande qualité. Cette étape entraîne l’élimination de toutes les impuretés, atténue l’acidité, baisse le taux de nicotine et réduit la quantité de goudron. Par la même occasion, l’arôme des feuilles de tripe est adouci tandis que les feuilles de capes héritent d’une couleur harmonieuse.
Les feuilles provenant des plantations en plein air sont classées en trois tailles, car elles contribueront à l’élaboration de la sous-cape et des trois parties (ou tiempos) de la tripe (ligero, seco et volado également appelés fortaleza 1, fortaleza 2 et fortaleza 3). Les feuilles cueillies au niveau des pieds des plantes de tabac servent à obtenir le volado à l’arôme léger. Il faut savoir que les meilleures feuilles de volado sont retenues pour la constitution de la sous-cape. Les feuilles prélevées dans la partie médiane vont constituer le seco dont les arômes se déploient avec une intensité modérée. Enfin, les feuilles du sommet composent le ligero qui laisse échapper un riche bouquet d’arômes copieux. Toutes ces feuilles vont ensuite subir l’écôtage.
Cette seconde fermentation concerne uniquement les feuilles pour la tripe et la sous-cape. Les piles de feuilles sont beaucoup plus grandes que lors de la première fermentation. Le processus prend également plus de temps et se déroule à des températures plus élevées. Comme durant la fermentation initiale, les épaisses feuilles gorgées d’arômes restent plus longtemps en fermentation tandis que les feuilles les plus fines, et qui sont les moins parfumées, sont fermentées sur une durée plus courte. La température est rigoureusement surveillée. Lorqu’elle devient trop élevée, il faut défaire les piles afin de refroidir les feuilles. Au moment de reconstituer les piles, il convient d’inverser l’emplacement des feuilles : celles qui étaient au-dessus sont renvoyées en dessous et inversement.
Une fois l’ultime fermentation achevée, on passe au vieillissement des feuilles de la sous-cape et de la tripe. Mais avant, elles sont disposées une à une sur des étagères durant quelques jours pour être aérées et surtout, séchées. Elles sont ensuite emballées puis envoyées à l’entrepôt de stockage où les y attendent depuis un moment les feuilles de cape. Les feuilles les plus aromatisées sont vieillies les plus longtemps tandis que le vieillissement est plus court pour les feuilles les moins riches en arômes. D’une manière générale, une très longue maturation améliore considérablement les qualités des feuilles.
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