Histoire du cigare : cultures païennes

L’histoire du tabac et donc celle du cigare commença lorsque Christophe Colomb aborda l’île de Cuba, le 28 octobre 1492, il envoya deux de ses compagnons, Luis de Torrès et Rodrigo de Jerez, en mission d’exploration. L’Amiral rapportera dans son Journal de navigation leur témoignage, selon lequel, une coutume des indigènes des deux sexes consistait à aspirer la fumée provenant d’un rouleau d’herbes. Ils venaient à la fois de faire la découverte du tabac et du cigare. Les marins de Colomb, au premier rang desquels Rodrigo de Jerez, le ramenèrent en Espagne en 1498. L’arrivée en Europe de cette pratique déclenchera de violentes réactions de rejet de la part des autorités religieuses. L’église y vit la réapparition des fumigations liées aux cultes païens contre lesquels elle menait une lutte perpétuelle. L’inquisition espagnole, intenta des procès en sorcellerie aux fumeurs de pipe et de cigare en invoquant leur inspiration démoniaque. Cependant, il ne pouvait y avoir d’arrestations massives pour la bonne raison que l’Eglise percevait les dîmes sur les revenus perçus par les colons dans le Nouveau Monde. En ce temps là, l’argent était l’opium du clergé. L’absence de position claire sur le tabac, jointe à la mise en avant de ses vertus médicales, permirent son extension à travers le monde durant tout le XVIe siècle. Il sera introduit en Turquie en 1580, en Asie, quinze ans plus tard, au Japon, en Corée et en Chine, puis se fut le tour de l’Afrique par le Maroc en 1593. Le XVIIe siècle verra la généralisation de sa consommation, ce qui provoquera la réaction virulente des souverains occidentaux à son encontre.
feuille de tabac
Le roi d’Angleterre, Jacques Ier, fut le premier à jeter l’anathème sur le tabac guidé en cela par l’avis de médecins du royaume. Il dénoncera « cette déplorable habitude, dégoûtante aux yeux, désagréable au nez, dangereuse pour le cerveau, désastreuse pour le poumon. » Mais, il ne s’en tint pas au discours car sa répulsion pour l’usage du tabac n’avait d’égale que sa cruauté. En 1618, le souverain fit décapiter Sir Walter Raleigh, à qui il reprochait entre autres choses d’avoir ramené en Grande-Bretagne la plante de Virginie. D’autres monarques suivirent son exemple, après avoir lâchement favorisé l’entrée du tabac dans leur pays et laissé développer la pratique de fumer au sein de leur cour. Les interdictions se multiplièrent, les victimes de cette répression aussi. En Perse, le shah Abbas Ier, se référant au Coran, condamne les priseurs à avoir le nez tranché et les fumeurs à la mutilation des lèvres. Les fumeurs risquent des peines différentes selon les pays. Dans l’empire ottoman, le sultan Amurat IV laisse le choix aux coupables de tabagisme d’être pendus la pipe entre les dents ou d’être brûlés vif sur un bûcher de feuilles de tabac. En Russie, le tsar Michel III Federowich, sous l’influence de l’Eglise orthodoxe, les menace de soixante coups de bâton sous la plante des pieds. Le pape Urbain VIII se rendant aux arguments de l’Inquisition espagnole, envisage en 1630, de les excommunier. La sévérité exemplaire des peines encourues par les usagers du tabac donne une idée de l’ampleur de la menace redoutée par les autorités religieuses et politiques de l’époque. Mais quel grand péril pouvait bien faire courir le tabagisme à ces sociétés ?

Depuis les origines, la fumée a accompagné les rituels des diverses croyances en tant que symbole du lien spirituel entre la terre et le ciel. Sa présence revêtait dans la plupart des cas un caractère sacré, qu’il s’agisse des autels dont les vestales ne devaient pas laisser le foyer s’éteindre ou des fumigations de chanvre propres aux druides avant les sacrifices. Pour les Indiens des Antilles, l’acte de fumer revêtait un caractère à la fois sacré et thérapeutique, car la médecine relevait pour eux de la magie. Cette conception s’opposait à celle qui avait eu cours en Europe durant l’Antiquité et le haut Moyen Age où ces deux composantes sociales étaient distinctes, et explique que chaque indigène, du moins à partir d’un certain niveau social, pouvait s’y adonner. Les Aztèques cultivaient le tabac pour le fumer lors des cérémonies religieuses, mais également à la fin des banquets. Leur considération allait à la pipe au détriment du cigare. La justification de la conquête du Nouveau Monde par les Espagnols était l’évangélisation des indigènes. Et pour cela, le pape Alexandre VI avait, par quatre bulles émises en 1493, concédé aux seuls Espagnols le droit à gouverner les Indes occidentales sous la condition de convertir les peuples qui s’y trouvaient. Comme les fondements du droit étaient religieux, tous les moyens militaires ou politiques devaient être employés pour réaliser ce dessein, puisque la monarchie espagnole n’était habilitée à lever des tributs sur les Amérindiens qu’à cette condition. Entre temps, l’habitude de fumer s’était répandue chez les colons espagnols, ce qui inquiétait le dominicain Bartolomé de Las Casas, alors installé à Cuba, qui leur reprochait cette vilaine manie de goûter le cigare. La pratique tabagique étant liée dans le Nouveau Monde aux croyances païennes des indigènes, on comprend l’acharnement des missionnaires espagnols pour l’éradiquer afin de pouvoir soumettre les peuples conquis à la foi chrétienne. Par contre, on comprend difficilement la répression dont ont pu faire l’objet les fumeurs européens, sachant que leur pratique se faisait en dehors du contexte spirituel initial.

La seule explication cohérente à la persécution absurde des fumeurs occidentaux est la jeunesse des Etats européens. L’apparition du tabac en Europe correspond à la constitution récente des royaumes européens. C’est le cas de l’Espagne qui reconquiert son territoire avec la prise de Grenade sur les Maures en 1492, de la France dans la première moitié du XVIe siècle et de la Grande-Bretagne au XVIIe siècle. Comme la légitimation du pouvoir du souverain reposait sur une religion, les autres croyances étaient bannies car elles pouvaient générer un système politique différent. Les clergés européens en faisant l’amalgame des fumigations avec le paganisme quel qu’il soit, interprétaient la diffusion de l’usage du tabac comme une menace pour des royaumes à peine unifié. L’anathème jeté sur le tabac se perpétua au Royaume-Uni jusqu’au XIXe siècle. La société victorienne s’accommodait mal des plaisirs de la fumée. Cette hostilité poussa les amateurs de cigare anglais à concevoir des sanctuaires consacrés au cigare : les « cigar divans » londoniens. Il s’agissait de clubs meublés de canapés, de billards et d’une bibliothèque où l’on jouait aux cartes et aux échecs, tout en se mêlant d’activités culturelles. Ils étaient bien plus vastes que les smoking rooms des clubs privés traditionnels. L’assouplissement des contraintes sociales envers le tabac intervenu au début de la Première Guerre mondiale, consécutivement à la généralisation de la consommation de la cigarette contribua à leur disparition.
savoir rouler le cigare
L’acceptation du tabac dans nos sociétés, comme nous venons de le voir, est un phénomène récent. Mais, aujourd’hui, le spectre du retour à l’ordre moral dans nos sociétés modernes fait planer au-dessus des fumeurs, l’ombre d’une nouvelle croisade au nom d’une vertueuse intolérance qui est celle d’une prévention médicale établie sur la peur et dont le dessein est d’éradiquer le tabagisme. Chaque fumeur de cigare cédant à son plaisir devrait avoir conscience, plus que les autres consommateurs de tabac, de s’approprier un peu du rituel sacré originel qui a valu à leurs prédécesseurs tant de tracasseries.

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